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Bouquetins dans un écrin

Dernière mise à jour : 18 janv. 2021


J’aime à croire que le monde animal a beaucoup à nous apprendre. Nos ancêtres bâtisseurs de fortification se sont certainement inspirés des bouquetins pour déterminer ce qu’est un promontoire inexpugnable ! Ici il s’agit certainement moins de défendre la place que d’avoir une vue dominante permettant de voir arriver le danger de loin.
Vallée du Tourond, Champoléon

Véritable figure emblématique, le bouquetin est le plus gros herbivore sauvage à cornes de nos montagnes. Pour ceux qui étaient tentés de faire valoir leur esprit de contradiction et/ou leur droit à la contestation et diraient : et le cerf élaphe alors !?... Je rappellerai que le cerf est bien un herbivore, il n’a cependant pas de cornes, il a des bois ! Ceci le met donc hors jeu de mon classement par taille des cornus. Les bois tombent tous les ans, les cornes croissent d’année en année, devenant le plus sûr moyen de donner un âge aux individus. De la classe des mammifères, de l’ordre des artiodactyles (ongulés) et de la famille des bovidés (Caprinés) le bouquetin des alpes présente un dimorphisme sexuel (différence d’apparence entre les mâles et les femelles) très prononcé.


Le photographe animalier se souvient forcément, qu’en milieu naturel de montagne plus qu’ailleurs, tout herbivore constitue une proie potentielle. De ce fait, lorsque l’attitude de l’animal trahit une mise en alerte, on se prend à guetter l’apparition du prédateur. En l’occurrence, il n’en fut rien, un chamois venait juste d’apparaître en crête.
Vallée du Tourond, Champoléon

Les mâles sont communément appelés boucs, les femelles sont les étagnes et les jeunes des éterles et des éterlous, sous réserve toutefois d’identifier le sexe des jeunes, ce qui demeure difficile dans leur première année. Les mâles peuvent peser le double des femelles (jusqu’à 100 kg) et portent des cornes beaucoup plus longues. Ces dernières (parfois plus d’un mètre de long, pour près de huit kilos), font figure de véritable trophée pour tous les chasseurs, d’images ou autre. Pour autant, comme je me plais souvent à le dire à mes homologues moins pacifistes, nous chasseurs d’images avons un gros avantage sur les autres.


Même en étant très bons à la visée, il nous est permis de shooter plusieurs fois le même animal, parfois même à plusieurs années d’écart.

Pour en finir avec les présentations, la hauteur au garrot des mâles oscille entre 75 et 90 cm, et entre 70 et 78 chez les femelles. Je vous laisse découvrir les variations de robe sur les photos, non sans préciser qu’elles ont pour la plupart été prises en début de période de mue, correspondant à la chute de la toison hivernale.



La quête de cette image demeure à ce jour un de mes souvenirs les plus intenses de ces vingt dernières années. D’abord surpris sur son éperon, l’animal a adopté cette posture amusante, s’est levé, a uriné, pour finir par entrer dans la grotte adjacente. Ce comportement atteste pour moi que l’animal n’a pas subi de gêne. Un herbivore traqué ne va pas, de son propre grès, dans un cul de sac où il se sait coincé. C’est aussi ce genre de photo qui m’autorise parfois l’expression suivante : la Nature, mon studio photo !
Vallée du Tourond, Champoléon

Toujours à propos du bouquetin et de ses cornes dressées en arc vers l’arrière du corps (contrairement au mouflon qui les a enroulées autour des oreilles) elles peuvent indéniablement constituer sa force, mais également sa faiblesse. Peut-être par excès de confiance, le bouquetin n’est pas farouche, surtout pour les gros individus mâles. Bien évidemment ce trait de comportement ravit le photographe animalier, à qui il appartient du coup de garder ses distances. Etonnamment, concernant les grands mâles, ce n’est pas chose aisée. Et certains récits complétés de mes expériences personnelles font état de situations rendues scabreuses par une proximité, si ce n’est voulue par l’animal, du moins induite par son propre comportement. Les femelles, surtout suitées (c'est-à-dire accompagnées d’un jeune), demeurent beaucoup plus méfiantes. Mais là aussi la théorie est parfois battue en brèche par la réalité. Le jour de certaines prises de vue présentées ici, alors que je sacrifiais à la pause méridienne et au pique-nique, je me suis retrouvé entouré d’une harde de 78 individus, essentiellement des femelles et des jeunes des deux/trois années précédentes (ceux de l’année en cours n’ayant pas encore vu le jour). Ne bougeant quasiment pas et laissant la nature reprendre ses droits, certains individus sont venus brouter à moins d’une vingtaine de mètres de moi.


Ecrin, ce mot dans mon esprit est immanquablement associé à « de verdure » ou « à bijoux ». Autant d’association de mots qui collent à merveille au théâtre de ce qui va suivre : le parc national des écrins (pour les initiés, le PNE est officiellement créé le 27 mars 1973 et constitue un des dix parcs nationaux français). La verdure ici ne manque pas et les pelouses alpines sont parsemées de joyaux pour qui aime la faune sauvage, sa contemplation et la photographie animalière.


Cette vue là aussi j’en ai rêvé longtemps. Il aura fallu l’absence des bouquetins dans leurs zones habituelles, pour m’entrainer sur cet éperon rocheux. La richesse d’un tel espace n’autorise pas à rentrer bredouille ! Après une ascension quasi à quatre pattes, l’environnement m’étant étranger, j’ai débouché très près de ce magnifique animal. Une rapide translation sur une corniche rocheuse m’a permis de restaurer l’espace vital du à chacun.
Vallée du Tourond, Champoléon

Petit message à l’adresse de ceux, encore nombreux, qui croient que faire de la photographie d’animaux en zoo ou parc animalier, c’est immortaliser la nature sauvage. Quand il est ici question de parc, rien à voir avec les précédents. Il s’agit en fait plus d’un espace protégé relativement vaste (92 000 ha pour son cœur, 160 600 ha pour l’aire globale d’adhésion) sur lequel s’appliquent un certains nombres de règles réunies au sein d’une charte et dont la plupart visent à la protection de l’environnement dans sa globalité.


Pièce montée d’animaux à poils laineux sur ciel laiteux

Donc ici pas de clôture, la gestion des espèces et des milieux est majoritairement laissée à Dame Nature. Au sein même de cet espace, des humains résident et développent leurs activités, sous réserve toutefois qu’elles soient compatibles avec l’éthique même du lieu. 53 communes ont adhéré à la charte du parc.


Si le département des Hautes-Alpes brille globalement par ses richesses : flore, faune et paysages. Si le PNE concentre l’intégralité de la faune alpine. La présence du bouquetin fait ici sa singularité. Et pour cause ! Les bouquetins des alpes (capra ibex) du PNE ont fait l’objet d’une réintroduction diligentée en 1959 dans le massif des Cerces, en 1977 dans l’Embrunais (qui a échoué), en 1989 dans le Valbonnais, puis enfin en 1994/1995 pour la harde qui nous occupe, celle du Champsaur/Valgaudemar.


La luminosité de cette fin de matinée donne un reflet quelque peu métallique à ses deux cornes déjà massives. Nous connaissions tous le chamois d’or, je vous présente le bouquetin de bronze.
Vallée du Tourond, Champoléon

Je considèrerais presque avec tristesse cette information selon laquelle les animaux sauvages que je me plais à observer ont fait l’objet d’un programme anthropique visant à restaurer leur présence et leur population dans ces grands espaces dont ils font pourtant figure de résidents de droit. Il faudra un jour que l’humain (prioritairement celui libéré des préoccupations quotidiennes liées à la survie), s’interroge sur l’impact de ses actes. C’est certainement très louable de réintroduire des espèces, mais cela demeure tout de même un aveu d’échec sur notre capacité collective à préserver durablement la nature sauvage, et les souches originelles des espèces la composant.


A ce stade, la confrontation entre mon insistance à mettre en exergue le caractère sauvage et certaines photos en ont peut-être conduit certain à se demander : « mais qu’est-ce que c’est que ces animaux prétendument sauvages, étiquetés comme de vulgaires moutons ?!! » La réponse s’articule de mon point de vue autour de deux finalités plus ou moins positives et lourde de sens.


Ces grandes graminées jaunies, couchées par la neige disparue il n’y a pas si longtemps de ça, sont très glissantes. Natsou, bouquetin mâle à la robe très originale (très marron), l’a bien compris. Alors quoi de mieux qu’un petit éperon rocheux pour se caler dans la pente, et éviter ainsi la glissade jusqu'au fond du vallon. Il faut dire qu’il a de l’expérience Natsou ! Né en 2004, il fait figure de vétéran des animaux marqués qu’il m’aura été donné d’observer jusqu’à présent.
Vallée du Tourond, Champoléon

La première qui vient à l’esprit et dont il paraît difficile de ne pas se satisfaire porte sur la connaissance. Etiqueter certains animaux et les affubler d’un collier GPS permet indéniablement d’accroitre nos connaissances sur l’espèce. C’est au printemps 2013 qu’est lancée une première opération de capture et de marquage de certains animaux : trois femelles et un mâle. On dénombre actuellement 41 animaux capturés dans l’aire du parc, 16 femelles et 25 mâles et 31 colliers posés.


Alors que nous apprend cette opération ?

Dans un premier temps, les prélèvements et mesures biométriques associés à la capture permettent d’établir un bilan sanitaire de l’espèce. Ecologiquement, l’intérêt porté à la pathologie permet d’en mesurer l’impact sur les populations d’animaux sauvages objet de l’étude. Dit autrement, plus de vingt ans après sa réintroduction, comment se porte la population actuelle de bouquetin des alpes ? Relativement bien. Et au dernier comptage, les populations étaient en nette augmentation. Nous verrons que cet intérêt pathologique comporte deux autres volets sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.

Les colliers GPS posés permettent quant à eux une véritable étude des mœurs des bouquetins, notamment quand à leur occupation de l’espace. C’est de la sorte que nous apprenons que les mâles se déplacent plus que les femelles, surtout en été et pendant le rut, sur des domaines vitaux variant entre 8 et 27 km². Les femelles se déplacent donc moins, notamment en été, mais c’est presque logique, c’est la période de la mise bas. Cela peut également permettre d’envisager des mesures de protection, par la mise en place de corridors ou l’identification de secteurs de mise bas. Avec leur durée de fonctionnement moyenne de trois ans, les colliers peuvent également permettre de localiser précisément les cadavres frais. N’y voyez aucun plaisir morbide ! Cela offre juste la possibilité d’autopsier les cadavres et de poser un diagnostic scientifique sur les causes de la mort. Au-delà des maladies, la prédation demeure la cause de mortalité principale.


Si on écarte l’homme dans ces espaces protégés où la chasse est interdite, les prédateurs principaux de l’espèce sont : le loup et le lynx, pour les mammifères terrestres, l’aigle royal, pour la menace aérienne.

Si cela parait évident pour le dernier (pour pouvoir arracher la proie au sol et la ramener à l’aire de nourrissage des jeunes), les uns comme les autres privilégient les proies jeunes (moins d’un an). Une connaissance supplémentaire dans la base de données de l’espèce. Que trouver à redire à toutes ces actions somme toute louables ? Rien !



Celles & ceux qui suivent l’actualité en matière de photographie animalière le savent, le numérique est synonyme de profusion. De ce fait, l’originalité de la technique de prise de vue, ou de la posture du sujet devient un gage de dissociation. L’éthique ne résiste alors parfois pas longtemps à l’appât du gain ou de la notoriété. Mais là, je vous l’assure, ce n’est pas un animal de cirque dressé, il n’est ni congelé, ni empaillé. Il a décidé seul de se mettre dans cette position du chien assis. Pas bouger… !
Vallée du Tourond, Champoléon

La seconde finalité constitue une sorte de revers de la médaille, sans que toutefois elle ne puisse être mise au passif du programme. Non en fait elle n’est qu’une illustration supplémentaire de la difficile cohabitation qu’entretient l’homme avec son milieu. Si les études pathologiques permettent la sauvegarde de l’animal, elles autorisent également des considérations plus économiques comme la confirmation d’interactions pathologique entre faune sauvage et domestique, voire sociale pour les maladies transmissibles à l’homme.

Les éléments de localisation satellitaire permettent d’attester la compétition entre le sauvage et le domestique sur certains espaces. Nos bouquetins marqués font ainsi un peu figure, si ce n’est de détenus, du moins d’accusés en liberté surveillée, avec bracelet électronique.


Alors si dans certains cas, les enregistrements doivent permettre de disculper le sauvage, dans d’autres immanquablement, ils attestent de sa responsabilité. Le pastoralisme parfois moribond à tôt fait de faire du bouquetin son bouc-émissaire.

L’homme n’aime pas la concurrence, et le sauvage à un petit relent d’indomptabilité qui ne sied pas bien à nos sociétés dites civilisées où on nous fait croire au risque zéro, allant même jusqu’à nous assurer sur la vie. Admettons seulement que si le sauvage peut avoir un impact pathologique sur le domestique, la réciproque est indéniablement vraie. A contrario génétiquement, le domestique est bien plus susceptible de détruite le véritable patrimoine que représente le sauvage, par l’hybridation des individus, laquelle peut conduire à la disparition pure et simple d’espèces. Les chèvres « feral », anglicisme traduisant le retour à la vie sauvage d’individus initialement domestiques, constituent en la matière un danger avéré pour leur cousin sauvage qu’est le bouquetin.


Ayant un souvenir vivace de lectures de la mythologie grecque dans ma jeunesse, ce bouquetin dressé m’a tout de suite fait penser aux sociétaires du panthéon grec que sont Bacchus et Le dieu Pan ! Le premier est souvent accompagné d’un cortège de silènes et de satyres (personnages munis de cornes, de pieds de bouc et de torses d’homme). Quand au second, sa silhouette familière est la suivante : figure barbue, yeux rusés (fendus peut-être), front orné de cornes, corps velu, pattes musculeuses munies à leurs extrémités de sabots fendus. Un tel descriptif n’est pas sans rappeler le capra ibex. Pour couronner le tout, Pan est le dieu grec protecteur des bergers, des troupeaux et des habitants des bois et des prairies. La boucle parait bien bouclée !
Vallée du Tourond, Champoléon

Gageons que toutes ces connaissances acquises permettent effectivement d’améliorer la cohabitation entre toutes les espèces d’un même écosystème entre le domestique et le sauvage, dissociation qui n’est rien moins qu’une notion temporelle : le chien n’est-il pas un loup domestique et le bouquetin une chèvre sauvage ? Alors si les boucles de couleurs accrochées à leur oreilles rendent artificiellement les bouquetins un peu moins sauvages dans l’objectif des photographes, si les noms qui leurs ont été donnés par les enfants des villages voisins en remplacement des numéros initiaux les rapprochent d’une certaine domestication, tant pis ! L’histoire humaine elle-même regorge de preuves attestant qu’il semble plus aisé d’exterminer des numéros que des individus avec des petits noms. Alors souhaitons longue vie à Mirko, Nala, Abricot, Champsaur et Natsou, pour ne faire référence qu’à ceux que j’ai eu l’occasion et le plaisir d’identifier.


A l’instar de ceux que l’histoire aura retenu comme Buffon pour son cobe, Steller pour son otarie et son pygargue (entre autre), Thomson et Grant pour leur gazelle, c’est potentiellement le rêve de tout naturaliste, amateur de surcroît, de découvrir une nouvelle espèce. Je vous présente par conséquent le bouquetin troglodyte. Quand la chaleur s’accroit et que la montée en altitude ne suffit plus, il n’est pas rare de trouver des individus retranchés à l’ombre dans des anfractuosités, voire de réelles grottes.
Val Estrèche, Champoléon

Enfin, pour ceux qui se poseraient la question, je n’ai fait ici référence au parc national des écrins qu’en qualité d’espace où ont été réalisées les images objet de ce reportage. Rien d’autre que ma passion de la nature sauvage et l’autorisation de prise de vues délivrée par lui ne me lie à l’établissement public du même nom. Je profite d’ailleurs de ces lignes pour en remercier le Directeur, Sandrine DC, Rodolphe P. et Marc C. pour leur aide dans la finalisation de ce projet. Contrairement à ce que je lis parfois, je ne vois aucune raison de m’excuser d’avoir pu déranger la nature, considérant que j’en fais partie ! Ceci ne me dispense pour autant absolument pas plus que quiconque d’en respecter les règles. Je suis convaincu que la connaissance est le meilleur gage et vecteur de la protection. C’est la raison pour laquelle, si j’adhère volontiers à l’idée du parc d’être son invité permanent, j’apprécie d’apporter ma modeste pierre à l’édifice de cette connaissance salvatrice, notamment de ses habitants du monde animal, en partageant mes observations, que ce soit au travers de sites internet idoines, de messages spécifiques à l’attention des guides ou de communications de ce type. Je n’ai fait ici qu’entrouvrir l’écrin à bijoux qu’est la Nature à notre porte, invitant chacun à mener sa propre chasse au trésor, dans l’environnement de son choix, ici ou ailleurs !


 

Texte et photos : Steph LIBERNAVENTURE

L’ensemble des photographies présentées dans ce portfolio ont été réalisées par moi en zone cœur du parc national des écrins, dans les deux vallées proches du Tourond et du Val Estrèche, dans les Hautes-Alpes.

Les prises de vues s’étirent sur plusieurs années, ce qui explique la variation d’APN dans le temps, du Sony Alpha 700, affublé de son 800mm, f/8 catadioptrique, en passant par le canon EOS 70D, pour finir avec le canon EOS 7DII et son lumineux Sigma 120/300 f/2.8, parfois rehaussé d’un multiplicateur x1,4.

Comme l’impose la réglementation en vigueur au sein des parcs nationaux, je dispose de l’autorisation de la cellule communication du parc national des écrins de vous soumettre ces photos pour publication. L’article ci-dessous que j’associe pour accompagner les images à quand à lui fait l’objet d’une validation, sur le fond et la forme, par cette même cellule.


En voir et savoir plus sur les bouquetins :

https://www.flickr.com/photos/libernaventure/sets/72157628121465352

http://bouquetins.ecrins-parcnational.fr/#


En voir et savoir plus sur d’autres libernaventures :

https://www.flickr.com/photos/libernaventure/albums

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